11 février 2007

La femme ailée (12)

WASHINGTON
Olga repartit aux Etats-Unis, à Washington, et travailla plusieurs jours à son article. Asphélia se trouva rendre visite à son amie Olga pendant cette période. Asphélia sortait seule durant la journée et retrouvait son amie le soir pour des séances de sport ou pour sortir. Asphélia respectait la confidentialité du travail de la journaliste. Un article vise à être publié, donc lu du plus grand nombre, mais dans sa phased d’élaboration, il peut passer par des états intermédiaires contradictoires, temporaires, avant de trouver sa forme définitive et stable. Il est donc important que l’article ne tombe pas en des mains tierces tant qu’il n’est pas fini.
Asphélia, pourtant ne put éviter de voir la photo de l’homme qu’Olga avait interviewé. Elle se dit immédiatement que cet homme ressemblait étrangement à l’entraîneur du club de foot, et séducteur, de son historieta rêvée. Olga lui expliqua qui était Rodolfo, tout ce qu’elle savait sur lui de source publique et vérifiée.Asphélia, amusée de la coïncidence, raconta l’histoire imaginée à Olga, qui en rit beaucoup :
-Effectivement, il a un côté vieux-beau, « viejo verde » en espagnol. Politiquement, je l’aime moyennement, mais il est de bon contact et il a le respect de l’interlocuteur.
Asphélia :
-L’interlocutrice. C’est un homme à femmes.
Olga, riant :
-Peut-être !
Asphélia s’arrêta là. Elle savait que son amie journaliste devait souvent affronter des individus peu agréables, raides ou agressif avec la presse et les médias. Pour une fois qu’un homme écoute et répond, laissons-lui sa chance.A Olga de voir.
Surtout, Asphélia fut heureuse d’avoir trouvé une parcelle de décodage de son personnage imaginaire de Rodolfo. Une incarnation, une évolution de ce Rodolfo d’historieta, c’était cet homme politique Rodolfo. Comme disent les informaticiens, le Rodolfo réel était une instanciation du Rodolfo imaginé. Asphélia s’enfonça dans le confort de la pensée médiévale nominaliste, pour qui le mot, la désignation, précède l’être ou la chose. Le créateur, la créature-concept, puis la créature réalisée, tel était encore le schéma qui avait présidé à l’orthographe allemande décidée par Luther : tout nom de créature porte une majuscule, en hommage au créateur, et par extension, tout nom porte une majuscule.
Un Rodolfo majuscule. Amusant !

SEANCE D’ECRITURE
Rodolfo est à son bureau au Parlement. Il dispose une belle feuille de papier à lettre à son monogramme sur un sous-main de cuir, prend son stylo plume et commence à écrire :
-Ma chère Olga,
Faire votre connaissance fut un plaisir. Nous reverrons-nous ?
S’il n’en tenait qu’à moi, j’aiderais volontiers le destin. Mais vous, le souhaitez-vous ?

Il avait écrit ces lignes sans hésiter. Elles lui étaient venues plus qu’il ne les avait construites. Tiraillé entre le besoin de dire et la crainte d’une maladresse qui viendrait tout gâcher, il fut longtemps paralysé, ne pouvant ni avancer ni reculer. Bloqué. En panne.
-Non, ça ne va pas du tout se dit-il en déchirant la feuille.

Olga est au clavier. Elle écrit, révise, améliore, finalise. Elle avance vite. Bientôt l’article est prêt. On ne bouge plus, arrêtons tout. C’est bon.

Olga et Asphélia sont au centre sportif. Elles sont sur des vélos fixes d’entraînement. Elles roulent à bon train, et ont choisi le même parcours simulé, ce qui favorise la conversation.
Olga :
-Je suis contente d’avoir fini cet article.
Asphélia :
-Tu vas lui faire relire ? C’est une interview, non ?
Olga :
-Bonne idée. Je vais faire cela, même si je suis contente de ce que j’ai écrit, et je ne le changerai probablement pas. Mais après tout le député a été très correct, sympathique même.

C’est donc Olga qui écrit à Rodolfo, et pas l’inverse. Elle lui envoie un e-mail le remerciant de l’entretien, et lui demandant de bien vouloir relire l’article.
Rodolfo aperçoit un clignotement sur son écran. Un message vient d’arriver.
Rodolfo l’ouvre.
-Justement !
Se dit-il.
-Quel idiot ! Incapable d’aligner 5 lignes et voici cette femme brillante qui m’écrit.
Je suis bête mais j’ai de la chance. Comme depuis que je fais de la politique.

Rodolfo embrasse la médaille de la Vierge, qu’il porte autour du cou.

06 février 2007

La femme ailée (11)

Thèse de doctorat de Olga Riscal: "Cervantes et l'homme historique".

Synthèse et argument: Cervantes avant d'écrire Don Quichotte fur un soldat, dans la période guerrière qui opposait l'Espagne et l'Angleterre. L'Espagne Impériale mobilisait dans ce conflit ses deux atouts maritime -l'Invincible Armada- et terrestre -le Tercio-. Nos travaux ont analysé l'influence du contexte historique et la perception de l'histoire en marche par les hommes qui la vivent dans l'oeuvre de Cervantes. Les personnages du Quichotte sont comparés à des échantillons historique de leur catégorie.

Rodolfo avait marqué une pause dans sa lecture, pour se pénétrer davantage, en toute honnêteté et humilité du texte qu'il lisait. Il s'était promis qu'un été où il aurait le temps, il lirait cette thèse intégralement, car elle lui ouvrirait des horizons sur la civilisation hispanophone. Cervantes est à la source. Olga Riscal a exploré, analysé, structuré cette source.

Le dossier préparé par l'assistant parlementaire contenait également quelques articles de fond signés d'Olga. Il s'y trouvait aussi un curieux manifeste, d'extrême-gauche, signé Libertad Mendez, réclamant la libération des guerilleros du 18 mai. On y parlait de réappropriation des biens confisqués, de réforme agraire, avec une terminologie marxiste qui faisait sourire Rodolfo aujourd'hui, mais autrefois lui eût fait serrer les dents.

L'énergie de la mère était passée à la fille, mais elle s'était canalisée, structurée. Olga s'avérait plus forte encore parce que plus calme, froidement efficace là où sa mère avait agité des mots sans pouvoir faire beaucoup plus.

Rodolfo sut alors qu'il lui faudrait être extrêmement attentif, accompagner avec bienveillance et présence, ne surtout pas chercher à endiguer un flux de pensée solide.

Cette réflexion de tactique politique qui l'occupa toute une soirée, veillée d'armes avant l'entretien, fut totalement dépassée dès que commença l'entretien. Rodolfo voyait une femme supérieurement intelligente, au visage fascinant, au corps attrayant, et se trouvait désemparé pour mobiliser ses techniques habituelles de politicien séducteur. La tactique préparée devenait inapplicable, comme un blindé au canon tordu par une grenade. Olga Riscal parlait, elle avait l'initiative. Il se prêtait au jeu, et la suivait sur le terrain inconfortable où elle l'emmenait. Rodolfo répondait avec prudence, fermeté, mais aussi une grande amabilité.

Olga faisait son travail, Rodolfo le sien.

Deux heures après l'entretien, Rodolfo retrouva son assistant. Celui-ci comprit immédiatement qu'il était arrivé quelque chose d'insolite: son patron, conquistador du coeur des femmes, s'était vu face à une forteresse imprenable. pire c'était lui l'assiégé. Le patron faisait une fixation sur cette journaliste. Eh bien voilà quelque chose de dangereux. il faudra bien désamorcer le piège. L'attaché parlementaire réfléchit et réfléchit encore jusque tard dans la nuit, et finalement s'endormit sans avoir trouvé de solution à ce problème. Un député assujetti à une passion tardive! Ah non!