19 février 2008

La part de l'oeil (15)

Chapitre 15
Vocation de Vladimir
Vladimir s’assied sur un banc de Central Park. Une revue dépassant de la corbeille voisine attire son attention. The Economist, avec un masque de comédie grec en couverture. Vladimir, désoeuvré, feuillette la revue. Une page de publicité l’amuse. La CIA recrute . L’annonce fait appel à l’intelligence, au goût du secret, un je-ne -sais-quoi d’espion des années 50. Vladimir relit l’annonce. L’idée lui vient, prend corps et devient plausible : au lieu de jouer des rôles qui tombent à plat, devenir un vrai héros, entre ombre et lumière. Rentré chez lui, il remplit en ligne le formulaire de candidature. Trois semaines plus tard, il est convié à un entretien en Virginie, transport remboursé.
La journée intensive met Vladimir dans la position où lui aime mettre les autres. L’acteur s’en sort plutôt bien. Il se prend au jeu. Il fait face à des situations de déstabilisation. Une simulation le place sur un vol spécial à côté d’un suspect dangereux sur lequel il lui faut maintenir la pression, libre à Vladimir de trouver la méthode. Le rôle du suspect est joué par un agent habillé pour le rôle, au visage dur d’un homme déterminé, qui manque de sommeil, sur les nerfs. L’exercice est appelé épreuve de force spirituelle. L’épreuve s’achève avec succès. Les commentaires de l’examinateur sont juste :
-Attention de ne pas y aller trop fort quand même.
Vient ensuite une épreuve d’interception électronique à partir d’outils logiciels. Un premier exercice est une « écoute ouverte » où on cherche à identifier une personne devant se rendre à Cuba, qui mange volontiers de crevettes et est allergique aux oeufs, parmi plusieurs personnes en conversation. Les candidats disposent de quinze minutes pour l’identifier.
Le deuxième exercice est l’écoute ciblée d’une personne afin d’identifier ses sympathies éventuelles pour des groupes de déstabilisation, à partir des caractéristiques idéologiques de ces groupes, données dans l ‘énoncé, et d’une rhétorique de critique de l’Etat américain, connue par 5 tracts eux aussi donnés. On a deux heures pour aboutir. Il ne faut pas se tromper car une identification positive déclenche l’assaut d’un commando de 15 agents des forces spéciales, et un manque à détecter un activiste résulte dans l’explosion d’un bombe dans un centre commercial, le samedi à 15 heures.
Vladimir peine dans le premier exercice. Il se perd dans les fonctionnalités du moteur d’analyse sémantique fourni. Il réussit tout de même à identifier la personne en 14 minutes et 50 secondes. C’est tout juste.
L’exercice suivant est une catastrophe. Vladimir parie sur la culpabilité du suspect, se laisse tromper par des indices accumulés, et trouve extrêmement dangereux quelqu’un qui ne l’était pas. Un massacre s’ensuit, carnage inutile, une vraie bavure.
Le commentaire du jury est indulgent : il vaut mieux se tromper dans ce sens-là plutôt que dans l’autre : une bavure sur une seul suspect non coupable, contre un risque humain de 200 personnes. L’approche statistique tolère 5% de perte dans les cas d’alerte rouge comme celui-ci.
Après ce mauvais résultat, Vladimir sait qu’il lui faut un sans-faute aux épreuves suivantes pour rester dans la course.

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