14 octobre 2007

La part de l'oeil (0)

Prologue

Métro de Londres, Picadilly Line, un vendredi à minuit.

Une femme blonde laisse ses longs cheveux flotter au vent. Elle est à l'avant du wagon, face à une fenêtre baissée. Elle se penche pour s'immerger davantage dans le courant d'air. Elle semble mal à l'aise, peu sûre de son équilibre. La drogue? L'alcool?

Sa tête de méduse blonde, au vol de ses cheveux éparpillés, va chercher le passage entre le monde lumineux où évolue le train, et le monde noir statique des profondeurs. Tout se joue sous la ville. Sous les racines de la City, tout au fond, comme la mine d'or d'un parc d'attractions. La lumière fuse, accompagnant les passagers du métro. La trame passée, le silence et l'équilibre minéral reviennent. Les cheveux de la passagère oscillent lentement de droite à gauche et vice-versa, en balancier. Ce mouvement se compose avec les microturbulences qui agitent la chevelure d'avant en arrière, comne pour une séquence publicitaire.

La femme est pieds-nus. Ses escarpins sont sur la banquette. A côté est assis un homme d'une trentaine d'années, pas tellement plus vieux que la femme. L'homme observe la femme dans ses mouvements involontaires. C'est un corps sans équilibre stable, en recherche de verticalité, quand la géométrie des alentours se courbe ou se brise par instant. L'homme semble heureux et amusé de l'état de sa compagne du soir. On voit tout de suite qu'ils ne seconnaissent pas depuis longtemps. Mais qu’ils se connaissent depuis longtemps ou pas, comment peut-il se comporter ainsi?

Que peut-on trouver d’amusant au spectacle d’une femme un peu (ou très) soûle qui cherche à sortir de son engourdissement en se projetant dans le vent ?

Il sourit. Vraiment, il semble avoir atteint l’objectif de la soirée. Il ouvre un téléphone à clapet et fixe le moment par un clip vidéo, prêtant plus d’attention à son enregistrement qu’au modèle vivant et vacillant, déchaussé, cheveux flottants. Il a filmé cette femme dans un état sans gloire. C’est toute le contraire de ce qu’une femme recherche, par son élégance, le choix des vêtements, les soins de beauté, le tracé du maquillage. La vidéo se referme sur une femme dégradée, et ça, alors oui, ça excite follement l’homme qui a l’oeil rivé à son écran.



La femme a l’air d’avoir le vertige. Pourtant on voit bien qu’elle ne va pas tomber ni vomir. Elle sera juste assez mal, pas trop quand même, elle vivra.



L’homme est un collectionneur d’instant infâmes, un violeur d’image. Il dépossède la femme des instants où plus que tout elle aurait voulu rester cachée, loin des moments de parade où elle rayonne de beauté et noblesse. L’homme se réjouit d’être maître du jeu. Ce jeu est pervers, ça crève les yeux et fait hurler. Pourtant, on sait bien qu’il aura ce qu’il veut, tout ce qu’il veut de cette femme à la volonté émoussée, passive, qui s’abandonne. La femme sera victime complice du crime qui s’accomplit et mutilera un peu plus sa dignité endommagée. A SUIVRE (1)

Aucun commentaire: