14 octobre 2007

La part de l'oeil (3)

Chapître 3

CE QUE L’OEIL VOIT

La part de l’oeil, ce n’est pas seulement dans le regard, c’est aussi l’image formée dans la camera obscura cryptique...

Valentina Cicconi se trouve à Paris, dans un ancien centre de commutation téléphonique, transformé en centre de calcul et salle de commande, avec une grande hauteur sous plafond. Les murs sont couverts d’écrans géants, on peut parler de murs d’images. C’est le groupe « opérations ». Dans une autre salle travaillent les chercheurs. L’étalonnage du centre des opérations est en cours. Il s’agit de calibrer le travail, de dimensionner le système. Cette phase expérimentale s’appuie sur le suivi de deux porteurs « sains » et d’un porteur « infecté ». En d’autres termes, il s’agit de suivre en évitant de les perdre de vue deux personnes hors cible et une personnes dans la cible. Ils ont été choisis par une sélection aléatoire.

Voici le premier des porteurs « sains », Rodrigo Lopez-Berenjeno. Il habite Madrid. Il se déplace volontiers en scooter. C’est sans doute pour la sensation de liberté qu’on a en plein vent. On se faufile, on passe devant, on s’insère entre deux véhicules, on réussit à enchaîner son déplacement sans trop de saccade. Rodrigo aime parcourir la ville. En quoi consistera l’étalonnage du cas Rodrigo ?
Tout d’abord rappeleons qu’il n’y a pas de cas Rodrigo. Rodrigo est un citoyen absolument normal et sur lequel ne pèse aucun soupçon.
L’équipe de suivi devra pister Rodrigo depuis la salle de commande sur des parcours rapides et changeant. Pas facile.
Le suivi commence. On voit Rodrigo à Puerta del Sol, vers Atocha, puis Cibeles, et Parque del Oeste. A la Puerta del Sol, une des 50 caméras stationnaires de la place l’a suivi, passant la main à une caméra qui balaye l’avenue. On le perd quelques secondes derrière un camion, puis il réapparaît près de la gare d’Atocha.

Valentina vérifie personnelement le bon déroulement du test, le passage de relais entre caméras, le suivi continu du parcours de Rodrigo. Le relèvement et le recollement des images s’effectue bien, avec peu d’interoplations. Cela lui rappele ses études avancées de mathématiques , en topologie algébrique et géométrique à l’Université de Pise. Cete fameuse notion de revêtement, définie comme fibration dont la fibre est triviale, quelles pouvaient en être les applications calculables ? Les professeurs n’avaient pas été très éloquents sur le sujet. Elle en sourit aujourd’hui. Son heure à elle est venue : la voici à même de mettre en oeuvre en temps réel les plus solides concepts mathématiques. La géométrie projective, après des années de désuétude, reprend le devant de la scène. Ce qu l’oeil voit... La part de l’oeil ?

Ce que l’oeil voit, l’esprit le transforme et l’interprète. Le centre informatique est un gigantesque perceptron, qui voit de mille yeux, recolle, interprète, modélise simplement. Le laboratoire de Valentina devrait s’appeler « groupe Leibnitz ». Il met en oeuvre la thèse du mathématicien philosophe « nihil est in intellectu nisi primum in sensibus ». Rien n’est dans l’esprit qui n’ait d’abord été dans les sens.

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