24 novembre 2006

Relations textuelles (1)

Avertissement: jeune lecteur, attends de grandir et d'avoir plus de dix-huit ans. Ce roman ne s'adresse pas à toi. Majeurs, je vous souhaite une bonne lecture.

----------------------

Chapitre I
L’arbre qui s’ouvre

Oscar, après une écrasante déception sentimentale, s’était enfermé pendant six mois dans un mutisme taciturne qu’on ne lui connaissait pas.
Lui, toujours trop bavard, prompt à lancer des plaisanteries piquantes, de celles qui au début attirent irrésistiblement les femmes, mais qui par leur répétition prolongée éteignent les plus belles flammes en les étouffant, lui, Oscar préférait maintenant la solitude, et passait des journées entières à méditer.

Il tira de ses méditations un livre qu’il conserve encore aujourd’hui sur son ordinateur, mais qu’aucun éditeur sensé ne publierait, fût-ce à compte d’auteur. Oscar échafaudait des théories. Ce faisant il s’était construit son petit monde à lui, en négation du monde extérieur qu’il s’était aliéné. Une jois intérieure lui était revenue au cours de sa démarche. C’est alors qu’il décida que le moment était venu de renouer avec le monde, après sa longue retraite zen.

Dans le cerveau d’Oscar germa un plan grandiose. Il lui fallait maintenant trouver son âme soeur. Comme Oscar ne croyait plus aux vertus du hasard, si charmant parfois, mais qui l’avait tant blessé, Oscar décida d’adopter une approche systématique qu’il créerait pour qu’elle soit vraiment adaptée au besoin. Oscar avant sa retraite zen, avait été physicien. Il voulut donc procéder en homme de science. Il convenait avant tout de définir des critères de succès, hypothétiques et composites, destinés à la vectorisation du problème, pour un traitement exhaustif et automatique. Il lui faudrait aussi un échantillon représentatif de candidates expérimentales, pour rendre robuste le système de recherche, y introduire un autoapprentissage, sans pour autant prétendre d’emblée trouver son âme soeur dans l’échantillon expérimental. Ce seraient des cobayes, sacrifiés comme dans les expériences pharmaceutiques à un cause noble qui les dépassait, sauf qu’ils n’y perdraient pas la vie, mais le statut de « candidate âme soeur ». Un plan ne se juge pas sur ses bonnes ou mauvaises intentions, mais sur la qualité de son exécution. L’arbre des possibles informatiques était ouvert. Son exploration pouvait commencer. Oscar allait le faire grandir et prospérer.

Chapitre II
Les quatre dames de coeur

Pour simplifier, Oscar avait décidé de modéliser sa cible, à déterminer, comme le centre d’un cercle. Si vous avez fait un peu de physique, vous avez entendu parler du paradoxe du pneu : le pneu a un centre de masse en dehors de ce pneu. Appliquez-donc une force au centre de masse du pneu. Vous pousserez dans le vide, et vous serez totalement ridicule.

Vous pourriez penser que le modèle d’Oscar était un peu de cette nature. Peut-être, c’est à voir plus tard, quand notre histoire se sera développée davantage. Oscar voulut discrétiser son cercle en y prenant quatre points cardinaux : Nord, Sud Est, Ouest.
-Ha ha, me direz-vous ?
Eh bien oui, mais c’était une idée d’Oscar, pas la mienne. Il développa son modèle, et réfléchit en parallèle aux caractéristiques essentielles et mesurables des femmes échantillons N, S, E, O. Y faudrait-il des critères physiques d’aspect ? Pas explicitement à la source. Ils pourraient par contre émerger comme conséquence déduite des critères axiomatiques de notre énergumène. Notez qu’Oscar n’était pas le premier à jouer avec ce genre de folie chimérique. Dante avant lui, parle dans la Vita Nuova, d’un Dieu Amour auquel se rapportent identiquement tous les points d’une circonférence.

Chapitre III
La femme de l’Ouest

Oscar était un peu fou, mais pas complètement. Il savait qu’il n’eût pas été raisonnable d’exclure de son ensemble de recherche la Vénus de Milo, qu’il la trouverait peut-être comme âme soeur au bout de plusieurs itérations, ce qui signifierait de façon immédiate et pratique une glorification érotique, philosophique, esthétique, et jusqu’à méta-héroïque du handicap. Pourquoi pas ? Sa grand-mère, une de ses héroïnes principales, avait fini sa vie sur un fauteuil roulant, tout en conservant un mental agile et incisif, dont il valait mieux ne pas s’approcher sans préparation. Quant à Oscar, même le handicap mental ne lui faisait pas peur. Sa famille avait engendré quelques handicapés mentaux, individus charmants et éternels enfants. Oscar était donc ouvert à tous les horizons, mais il n’allait pas se piéger dès la première itération de son programme dans un puits de potentiel dont il ne pourrait plus sortir. C’est à cette fin qu’il détermina de façon assez ouverte ce qui devait caractériser la femme de l’ouest. Elle devrait avoir une culture de référence occidentale, et des traits de caractère proches de ceux de la Madonne au long cou du Parmigiano.

Ne croyez pas qu’Oscar allait se jeter tête baissée dans la recherche effrénée et ahurie d’une jeune femme occidentale correspondant sous un forme, disons-le, complètement floue, au portrait de la Madonne au long cou. Il fallait auparavant définir les autres points cardinaux de la quête et former un système de recherche agrégeant convenablement les points d’expérience en quatre ensembles : les voisinages N, S, E, O.

Chapitre IV
La femme de l’est

S’agissait-il d’un est proche ? En deçà de l’Oural ? Ou bien du grand est asiatique ? Nous savons déjà Oscar fou mais pas stupide. Ses critères ne sont ni raciaux, ni physiques, ni vraiment géographiques, mais de caractère. Il a lu La Bruyère. Pas vous ? Oscar avait une culture orientale succinte mais intense. Oscar adorait le jeu de go. Le roman de Shin-sa « La joueuse de go » et ceux de Kawabata lui donnèrent une idée apparamment géniale : la femme de l’est serait une joueuse de go. Arrêtons-nous sur cette idée. Un doute arrive tout de suite : -y aura-t-il assez de joueuses de go pour former un nuage de points significatif dans lequel chercher l’âme soeur ? Faites attention : vous vous trompez, on ne cherche pas ici l’âme soeur mais juste la femme de l’est, un des quatre piliers du système d’Oscar pour trouver l’âme soeur.

Chapitre V
La femme du nord

Continuons le travail d’architecte avec Oscar. La femme du nord, comment sera-t-elle ? Une blonde Nordique, une grande et belle Néerlandaise ? Une Allemande élancée à la démarche élégante, une Anglaise aux formes sculpturales ? Suscitera-telle une inspiration érotique puissante ? Ce serait à voir, ce n’est pas du tout exclu, mais prématuré à ce stade de la définition : plutôt une possibilité comme résultat, pas un critère cible. Oscar médita toute la nuit. Au matin, il avait trouvé. Il se souvenait d’une phrase frappante, entendue en suédois, dans un film en noir et blanc de Bergman. Le sens était : « Dieu Odin, je ne comprends pas ». la réponse à l’énigme de la femme du nord s’imposa alors : la femme selon Bergman, en noir et blanc, pour mieux en marquer les traits. Comment mesurer l’adéquation à un tel modèle ? Faudrait-il qu’il mobilise ce qu’il savait de Freud et de Lacan ? Ou bien en plus élémentaire, par la mesure du désespoir, et du gouffre de nostalgie ? En dépouillant encore, Oscar trouva la figure ultime de la femme du nord : Hildegard de Bingen poétesse de la circulation du vent. Oscar savait devoir s’arrêter là pour le moment. L’heure était venu de s’intéresser à la femme du sud. Pour le quatrième pilier de son repère, il fallait trouver une configuration d’écartement maximum. Voici comment il procéda.

Chapitre VI
La femme du sud

Oscar entreprit un voyage imaginaire en Méditerranée. Il fit route à travers les civilisations antiques, grecque, égyptienne, étrusque, romaine. Il referma ensuite l’encyclopédie de sa mémoire et laissa son regard partir à l’horizon. C’est là qu’il vit la déesse des sables. Il relut « l’Atlantide » de Pierre Benoît et se détermina pour Antinéa. Les quatre grâces aideraient Pâris. Le prince trouverait Hélène sans que soit livrée la Guerre de Troie. Voyez plutôt, mais avant récapitulons comme a dû le faire pour cette étape le scientifique Oscar. Il a déterminé quatre femmes cardinales qui encadreront sa recherche d’âme soeur :
-la femme de l’ouest, symbolisée par la Madonne au long cou du Parmigiano. Douceur, fantaise inspirée, dynamisme envoûtant
-la femme de l’est, joueuse de go, qui maîtrise le temps et les positions, sait faire des sacrifices ponctuels pour parfaire une stratégie d’ensemble.
-la femme nord, héroïne bergmanienne en noir et blanc avec l’intelligence hyper-sensible de Hildegard von Bingen.
-la femme du sud, déesse des sables, l’irrésistible Antinéa.

Chapitre VII
Lancement du plan

Oscar ayant déterminé les quatre profils cibles, ses quatre femmes cardinales, ses quatre dames de coeur, il lui fallait passer à l’espace dual des profils masculins, ou masques divers d’Oscar, pour attirer à soi les personnes souhaitées. Etait-ce au fond, autre chose qu’une opération de séduction ? Nous verrons dans ce qui suit jusqu’où Oscar s’engage pour la réussite de son plan. Revenons au travail de préparation des masques. Il appela le masque dual de la femme de l’ouest « Oscar Parmigiano ».
Le profil se caractérisait par les paramètres suivants :
Oscar Parmigiano

La photo nous donne à voir un condottiere sérieux mais légèrement souriant.
Les lieux favoris sont :
-La Chartreuse de Parme
-le Mont Blanc
-Séville
La musique préférée comprend :
-Astor Piazzolla
-Vivaldi
-Monteverdi
-Madonna et Kate Bush
Les passions comprennent les :
-randonnées dans l’espace et dans le temps
-littératures et poésies d‘Europe

Oscar décida d’appeler le masque dual de la femme de l’est « Oscar Glasperlenspiel » par référence au roman de Hermann Hesse, « Le jeu des perles de verre ».

Oscar Glasperlenspiel

La photo montrée est un portrait de Sun Zi, auteur de l’ouvrage de stratégie ancien le plus connu « L’art de la guerre ».
Les lieux favoris sont :
-Neuschwanstein
-Oslo, musée des drakkars
-Stonehenge
-Carnac
En musique :
-Brahms
-Wagner
-Webern
-Kurt Weil
-heavy metal
Passion:
-les fraises
-les cerises
-poésie romantique, sutout Hölderlin
-films de Pabst, Bergman, Fassbinder.

Restait à définir le miroir de la femme du sud. Oscar prit un risque et l’appela « Oscar légionnaire », non qu’il fût militariste, mais le style et l’allant, un peu contrôlés, servaient son histoire :

Oscar légionnaire

On voit une photo d’officier de la légion
Le lieux favoris sont :
-le Sahara
-l’Ardèche
-Saint Guilhem le Désert , dans l’arrière-pays de Nîmes
-Marseille et son port
Pour la musique :
-Schubert
-Millaud
-James Blunt
Parmi les passions :
-plongée sous-marine
-poésie
-pensée orientale : Lao Tseu, Confucius

C’est alors que commença pour Oscar, non pas un simple dédoublement, mais une division en quatre composantes de sa personnalité. Plus que de vision on devrait parler de projection. Il se jeta dans cette opération de créations d’avatars, de multi-incarnation, et devint comme le font si bien les acteurs, tour à tour mais aussi de façon concomitante chacun de ses personnages. Il travaillait à s’inventer des souvenirs, une histoire incrustée d’anecdotes, une mémoire construite par stratification inverse, du point d’arrivée vers le point de départ. Ce travail au rebours de la flèche du temps provoqua une immersion totale, comme celle des premiers baptêmes, avec la visitation des quatre personnages telle que l’a décrite Pirandello. Se mêlaient l’incarnation intermittente de la représentation, du spectacle, et la phase conceptuelle de dialogue entre les personnages et l’auteur : « -Je ne peux tout de même pas faire ça, ça ne colle pas à mon personnage. ». Toujours les personnages rôdent et reviennent vous voir, pour qu’on s’occupe d’eux, qu’on les sorte, qu’on les aère. Ils veulent leur temps de vie, même illusoire, un spectacle de mots, d’images, et de téléprésence.

Chapitre VIII
Oscar Parmigiano apparaît

Lorsqu’il eut exploré les mérites comparés de ses quatre alter-egos, représentants, ou délégués, Oscar se retira dans sa base de Kourou mentale et lança Oscar Parmigiano sur orbite. Comme pour la mise en orbite d’un satellite, il y fallait une première poussée du lanceur pour s’arracher à l’attraction terrestre, suivie d’une phase plus délicate d’ajustement d’orbite par mouvements tangents à la trajectoire recherchée. Le début demanderait une attention renforcée : Oscar devrait suivre en temps réel les premières réactions d’Internautesses, une fois Oscar Parmigiano entré dans le champ des cyber-projecteurs. Le blog et le profil d’Oscar Parmigiano avaient été soigneusement préparés et retouchés hors ligne. Aussi Oscar fut-il à même en quelques minutes d’enregistrer le profil, l’identité réseau, et le blog du premier personnage. Sitôt lancé, Oscar Parmigiano se devait de montrer une activité, lui donnant une épaisseur, une réalité, un mouvement intéressant, celui du bouchon qu’agite le pêcheur au bout de sa ligne. Oscar comptait sur deux façons d’entrer en contact avec des internautesses de la catégorie femme de l’ouest : le mode passif et le mode actif. Dans le mode passif, on est objet, on attend d’être abordé. Dans le mode actif, on est sujet, on se met en chasse. On parcourt les répertoires, et on contacte sélectivement des personnes au vu de leur profil. Comme dans la vie réelle, il ne faut pas trop attendre du hasard. Si on trouve sans avoir trop cherché, c’est qu’avant on s’est préparé. On retrouve bien là le style méticuleux et systématique d’Oscar. Des annuaires émergèrent un faible nombre de profils ayant quelques points communs avec celui de la femme de l’ouest.
Rien d’étonnant, direz-vous, puisque les critères de filtrage des annuaires publics de profils correspondaient à un modèle général, différent de celui d’Oscar. Oscar n’hésita pas à créer lui-même un moteur d’exploration qui rapprochait profils stockés et profil cible. Après plusieurs séances de pure programmation informatique, il se décida à regarder quand même les profils sélectionnés et les blogs associés, et même à faire connaissance avec quelques personnes qui se promenaient sous leur masque élégant au fil des réseaux, comme autrefois les belles mystérieuses sur les canaux de Venise.

Chapitre IX
Lorraine Gelée

Oscar aperçut Lorraine Gelée, et fut tout de suite intéressé par son site web qui s’ouvrait sur un des ports imaginaires du peintre Claude Gelée dit le Lorrain. Lorraine avait incrusté ce paysage de liens hypertexte vers des brefs poèmes, pleins d’une fraîcheur surannée. Lorraine, au fil du texte, entre ses propres lignes, ne se révélait-elle pas plus fascinante encore que cette blonde aux yeux noirs d’un autre temps qu’évoque Nerval ? La rose n’était pas fanée, mais embaumée, flottant en suspension, comme un parfum diffusé. Un vent délicatement gelé aurait peut-être fixé l’instant, un instant d’extase multiplié en palettes d’un éventail qu’on plie te qu’on déplie à souhait. Décidément Lorraine savait écrire, décrire, déployer son écriture.
Oscar réflechit à un miroir qu’il pourrait ériger pour propager, diffracter, réfléchir à souhait la voix multiple de Lorraine. Il pourrait la reprendre, la réorchestrer à sa manière, entrer dans sa gorge, vibrer avec elle.
Oscar se mit à l’œuvre et sa page web exprima bientôt avec sincérité sa perception du portail ouvert par Lorraine Gelée sur un océan cythérien. Il prouva son courage d’engagement, son goût et sa capacité pour voguer de concert, jusqu’à une île féérique où seuls compteraient la qualité du dialogue et des regards échangés. Ce serait une île où la végétation arborescente couvrirait en les décorant les jeux de nymphes et de satyres. D’écho en écho, il continua les histoires esquissées par Lorraine, liant point par point un portail miroir à celui de Lorraine Gelée. Quelques heures plus tard, son message mesuré annonçant l’ouverture de son site destiné à mettre en valeur le site de Lorraine reçut une réponse laconique. Lorraine l’invitait à faire plus ample connaissance par une session d’écriture à quatre mains.
Oscar et Lorraine mêlèrent leurs phrases et construisirent une première histoire sur un scénario de Rimbaud commençant par « Madame a fait mettre un piano devant les Alpes ». Les mots se répandaient avec aisance sur la page partagée. C’était aussi léger et pourtant plein de sens qu’une promenade matinale au bord d’un champ, quand tout est neuf et frais. On respire si bien. C’est dans ces conditions idéales que grandit leur entente. Lorraine et Oscar sortirent fatigués mais heureux de leur premier dialogue. Ils avaient absorbé assez pour méditer un jour entier et plus, chacun de leur côté, et donné déjà plus d’eux-mêmes qu’un simple aperçu technique de leur talent. Ils avaient partagé et vécu ensemble le moment où s’inscrivent les mots. D’un commun accord, ils terminèrent la session lorsqu’ils sentirent décroître l’intensité de l’échange.

Chapitre X
Livia Gallica

Oscar reçut une réponse à la sollicitation qu’il avait faite à une certaine Livia Gallica. Intrigué par le style mystérieux du message, il se rendit aussitôt à l’adresse indiquée, la cybervilla de Livia. On y découvrait une statue antique animée en 3 dimensions, dont l’expression attirait le regard et ne le laissait plus partir, avec un côté surprenant, dérangeant même. La cybervilla de Livia était le réceptacle d’un texte linéaire, ample, qui s’écoulait en cascade, rebondissant d’un paragraphe à l’autre. Il lut les premières lignes avec un demi-sourire, puis se prit au jeu, continua sans pouvoir s’arrêter, jusqu’à la dernière strophe :
Et moi, Livia,
le dos tourné à ma villa,
Je regarde l’Etna,
Et je pense qu’un jour la lave débordera
Alors une lumière horriblement forte se répandra
Jusqu’à ce que cesse l’éruption
Et revienne l’harmonie silencieuse d’après les tempêtes
Oscar entra dans le jeu gallo-romain de Livia et construisit un site en répons. Oscar s’éloignait de l’imitation passive. Il dilatait le domaine d’expression, traversait les temps, en les soulignant de moments particuliers comme l’Histoire apprise qui fragmente le flot en événements discontinus, enchaînés sous une forme scolastique unique et rigide, sans liberté d’interprétation. Dans cette configuration les événements sont placés sous le joug d’une Histoire officielle, comme ces galériens que le fouet synchronise. Oscar effectuait des coupes transverses : SPQR, Bastille, Commune de Paris, Liberty Bell de Philadelphie, cuirassé Potemkine, avec un paragraphe synthétique pour chaque. Livia avait illustré le temps pensé du dedans, avec un temps unique hyper-cohérent. Oscar lui contraposait une provocation respectueuse, en pensant le temps du dehors, en traversée, avec une cohorte de contrastes et d’anachronismes forcés et ludiques. Il savait qu’il prenait le risque d’irriter, mais devait à l’honnêteté de le faire, ne pouvait s’en retenir. C’est ainsi que souvent les hommes se perdent, dans le respect de soi, et le respect de l’honnêteté dûe à l’autre. Il prit tout de même soin de corriger la provocation par une conclusion formée de poèmes assemblés sur le modèle de ceux de Livia.
Ce fut bien plus tard qu’il eut la réponse de Livia à la construction qu’il lui avait dédicacée. Livia expliqua dans un long message le trouble causé par le style flamboyant et dévorant qu’Oscar avait utilisé. Elle s’était d’abord sentie balayée, comme les pièces du jeu d’échec dans une partie qui se termine mal. Livia se trouvait emportée dans un tourbillon qu’elle n’avait pas sollicité.
Elle réfléchit, analysa, et finalement trouva une nouvelle assurance dans une synthèse dialectique entre homogénéïté de son style et diversité de l’approche d’Oscar. Oscar n’avait rien espéré d’autre.
Dans le doute, Livia supposa à Oscar une intention supérieure accompagnée d’une maladresse d’exécution. Elle pensait l’avoir compris et lui était maintenant gré du choc qu’il lui avait fait subir. Elle en sortait plus forte, « le corps remagnétisé pour les plus lourdes peines »[1] .
[1] Rimbaud

Aucun commentaire: