28 décembre 2007

La part de l'oeil (13)

Chapitre 13
Autres fragments de la vie de Donna
Il y avait un grand ciel bleu sur Chicago ce jour-là. Donna marcha longuement le long du lac. On y voyait des bateaux plier sous le vent et glisser avec élégance. Donna s’absorba entièrement dans ce spectacle lointain des voiliers. Ses doutes, ses hésitations à aller de l’avant se dissolvaient immanquablement dans l’étendue quasi-maritime du lac. Des images lui revenaient d’un roman lu à l’adolescence : Au loin une voile de Valentin Kataiev. Elle se demanda si odessa était très différente de Chicago. Le Chicago qu’elle aimait, c’était celui du festival de Jazz, les cuivres brillant sous le soleil, avec les meilleurs musiciens du moment. Elle adorait ces sons un peu rugueux, de l’Afrique retrouvée, sous le vernis américain.
Pendant une semaine, Donna déambula dans la ville et à ses abords, sans but précis, juste en oubli méditatif.
Un jour, en fin d’après-midi, elle se trouva au bord du lac, dans une ambiance de fête foraine. Un temps pour s’amuser, pour retrouver un moment les jeux de l’enfance. Donna loua un mini-bateau et partit en micro-aventure à risque zéro. Sa petite barque était carénée pour une personne, en maquette de paquebot. Ce fut un rêve à déclenchement immédiat, de grande traversée. Elle se sentait partir pour un long trajet, jetant ses amarres personnelles, d’Amérique en Europe. Dans l’intervalle, elle se projetait dans un espace-temps transitoire, ces euaux internationales où tout peut arriver, comme au Titanic ou au Lusitania. Au large l’esprit s’ouvre. L’iode vous dégage le cerveau. Le coeur se vide jusqu’à l’ataraxie bienheureuse. Laissez monter en vous l’énergie vitale de l’océan. Vous aurez alors tout pour vous jeter dans ce que la vie vous propose. Vous aurez spontanément l’à-propos de le saisir comme un pêcheur remonte ses filets quand ils sont pleins. Une passion peut seenraciner dans le vase clos d’un bateua. Les ondes émotionnelles résonnent dans la boîte.
Les cris d’enfants mêlés à ceux des mouettes font sourire Donna. Un désir de Crimée rêvée s’installe. Elle trace avec son bateau une spirale croissante. Elle est tellement au jeu géométrique de son parcours qu’elle n’a pas vu un nageur. L’apercevant au dernier moment, elle sursaute et donne un coup de barre trop brusque. Le mini-paquebot percute la tête du nageur. Donna catastrophée pense au pire. Elle se penche. L’homme est plus surpris que blessé, mais sait-on jamais ? Une blessure à la tête peut avoir des suites graves. Donna a très mauvaise conscience. Elle tend la main au nageur pour qu’il monte à bord. L’homme ne veut pas, mais elle insiste tant que le naguer, la volonté émoussée par le choc, ne résiste plus et monte. Le bateua est petit pour deux. Il oscille fortement. Donna et son nageur énervés par les émotions qu’ils viennent d’avoir, libèrent cet énervemenet dans un fou-rire interminable, qui s’entretient du tanageg, lui-même ravivé par l’agitation des rieurs. Le rire passé, Donna ne peut détacher son regard du corps mouillé de l’homme. La gêne de Donna stimule le nageur, enlevé malgré lui par une plaisancière de pacotille. Micro-cabotage et micro-cabotinage font le reste, quand les adultes se croient redevenus enfants. Ils sont maintenant à la joie de leurs corps libres sous le soleil, leurs visages détendus se sourient. Donna et Justin sont compagnons d’une croisière réelle et rêvée. Ils s’approchent de la rive, dans un mélange d’étonnements enfantins et de rite d’accouplement. Mâle et femelle s’ébrouent dans une harmonie biologique simple. Donna se voit prise dans un mécanisme biologique auquel elle adhère, qui l’entraîne, elle suit son instinct. Elle, si timide face aux risques de la nature, se trouve en harmonie avec les événements. Elle finit l’après-midi dans l’eau du lac, avec Justin. Protégés de la vue des passants par de hauts blocs de granit, ils font l’amour dans l’eau. Guidée par Justin, Donna découvre l’érotisme amphibie. Elle entre avec son homme-poisson dans le jeu légendaire : l’homme-sirène a séduit l’humaine terrienne, et l’emmène jouir dans son royaume des profondeurs.
Donna s’abandonne à la fluidité multiple, mergitur nec fluctuat. Poulpe, elle palpe de toutes ses valvules le corps de son partenaire. L’homme se laisse méduser. Plusieurs semaines après, l’homme-poisson glissera entre les doigts de Donna. Un élastique ramène Donna à New York. Son pivot mental y est bifocal : le Lincoln Center et le Village. La chèvre Donna est attachée à ces deux piquets. Elle décrit une ellipse dont elle ne peut sortir.
Donna, à Chicago, a été heureuse, mais sans souci de se creuser un avenir. A New York, elle est de nouveau prise d’un désir de sédentarité émotionnelle et de stabilité affective. Elle essaye divers moyens , parallélise son effort. La voici en speed-dating. Donna reste 5 minutes à chaque table, sourit, parle brièvement avec un homme, note un score face à un numéro, se lève, va jusqu’à une autre table...
De façon plus significative, Donna déploie sa présence virtuelle. Elle publie des poèmes. Elle poste aussi des demi-poèmes conçus pour être complétés à 4 mains : une ligne de Donna, une ligne ouverte à remplir, en alternance continuée. La moitié de l’entrelac est mis aux enchères du bon-vouloir masculin. Quel homme new-yorkais, intelligent et cool comme dans un film de Woody Allen se risquerait à un exercice où il a tout à perdre ? Donna se dit que le New York contemporain ressemble au Paris de Beaumarchais. Tout est permis, liberté de penser, libertinage sexuel absolu, à une condition et une seule : toujours éviter la faute de goût, rester dans le ton. Ce climat est castrateur pour les mâles, tant pis pour eux : ils sont hantés par la terreur absolue d’être ridicules, et on ne se relève pas d’une disgrâce dans les cercles interconnectés de la Big Apple. L’exercice de Donna est périlleux : on y est vu pour ce qu’on est, un grand comique, une plume agile, ou un esprit épais, un lourdaud, un minable sans intérêt. Or voici ce qui se passe sur le site de poèmes à 4 mains de Donna. Un silence glacial, total, zéro réaction. Pourtant, alors qu’elle ne s’y attendait plus, arrive une surprise. Makoto Takanawa de Kyoto se manifeste. Il trouve l’exercice amusant, et propose des demi-dialogues pour refermer les histoires ébauchées par Donna, avec des annotations explicatives pleines d’un esprit incisif et pénétrant qui amuse beaucoup Donna.
Ces publications, ces discussion littéraires, en joute, en défi, en collaboration créative aussi, c’est la face visible à tous, aux deux protagonistes et à leurs lecteurs d’Internet. En plus, à l’arrière de la toile, dans l’épaisseur des réseaux, se trouve la faille intercontinentale. C’est le pli d’Internet, le dual des écoutes et surveillances, en un mot le traitement non sollicité de vos informations par l’agence -ray, « Internet of things », l’Internet des choses de la vie, de la surveillance de votre vie privée.

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