07 décembre 2007

La part de l'oeil (11)

Chapitre 11
Regard sur la rue
Quelques mois plus tôt, à Londres. Rodrigo observe de sa fenêtre la rue, à 200 mètres. Il fait beau. Rodrigo est hébergé par des amis, qui lui ont laissé les clés de leur appartement avant de partir en voyage. Son point de vue est au 4e étage d’un bâtiment edouardien. La vue passe au-dessus des toîts d’un ensemble voisin de maisons à deux étages, des « mews ». Il aime s’absorber dans une composition urbaine à gémotrie marquée, avec des cheminées, des toîts en ardoise, des triangles variés, tout cela bordant l’édifice massif d’une église d’où vient une mélodie lente jouée à l’orgue.

Derrière l’entrelac géométrique, se trace une petite ligne de vie sociale, une rue commerçante. La rue se trouve derrière le no man’s land des polyhèdres et autres figures d’architecture.

Juste maintenant, une jeune femme passe dans la rue, l’animant davantage. Rodrigo la suit du regard. Il ne peut s’en détacher. C’est curieux comme le corps de la femme ondule joliment. Rodrigo est surpris. Il s’attendait à éprouver un attrait sexuel léger, une fascination abstraite et passagère, mais c’est tout autre chose qui retient son attention. Quoi donc ? Ce corps est plein de vie. La femme avance les seins gonflés comme des spinakers. Ses muscles contractent et font vibrer sa chair, élégamment. Elle marche avec simplicité, sans le dandinement si fréquent chez les femmes. Il y a dans les pas de cette femme la même joie que celle du rayon de soleil sur l’avenue.

Au pub du coin de la rue, deux boules de billard américain de couleurs vives, l’une orange, l’autre verte, viennent de se percuter. Nous voici juste après le rebond. Elles sont encore unies par des conditions de choc, mais déjà elles s’éloignent, sans intention, mais parce que chacune va son chemin. Pendant un intervalle ensoleillé, la jeune femme continue à marcher. Rodrigo la suit du regard.

Il s’est laissé aller à la joie du spectacle, en cette belle journée de juin. Pourtant qu’est-ce qui l’autorisait à devenir l’observateur indésirable d’une scène de rue londonienne, avec une jolie jeune femme heureuse du beau temps et qui ne se savait pas observée ? Du jeune homme insouciant, il était devenu le tireur embusqué qui guette sa future victime. Rodrigo se dit que tout cela n’était pas différent du voyeurisme. Il se promit de préférer une ppaorche plus directe et plus symétrique, celle du passant qui fixe son regard dans celui des belles inconnues.

Le temps de faire cette réflexion, il était déjà dans la rue et remontait Gloucester Road dans la direction de Kensington Gardens.

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