01 décembre 2007

La part de l'oeil (7)

Chapitre 7
Le rêve de Valentina

On voyait bien que cette femme-là, qui écrivait une lettre, irait au bout du monde pour son amant lointain, qu'elle abandonnerait son statut de rentière, prendrait aussi bien celui de lavandière. S'il le fallait, elle laverait de ses mains les draps des autres, les frappant sur le bord du lavoir. Elle effacerait au savon et à la pierre-ponce les secrets de l'alcôve, pour qu'on n'en parle pas. Les heures d'amour resteraient aux seuls amants, sans témoin, sans vestige. Effacées aussi les taches des jeux d'enfants sur les chemises et tabliers. Gommées les maladresses du vielillard et les gaucheries de table de l'ancienne beauté de village, toujours commémorée par une photo jaunie. En lui rendant des vêtements propres, qui sentiraient la lavande, c'était un peu de son ancienne gloire qui lui serait rendue. Celle qui faillit être femme fatale avait accepté son destin, avec dignité. Son visage craquelé par les sécheresses successives, maladies, douleurs, chagrins, restait superbe comme une figure de proue. Ce navire dont elle serait la proue devrait s'appeler quelque chose comme La Marie-Chantante, car la vieille dame gardait une très belle voix de soprano. Autrefois cette voix douce et rieuse avait séduit des hommes, les rendant fous d'amour, et cela continuait car kla trace de sa beauté restait fraîche au couer des soupirants vieillis. Paradoxe de lâge, quand l'un mourait les autres se lamentaient, et tout aussitôt se consolaient en se disant que cela ferait toujours un prétendant de moins. Le cercle des admirateurs se resserrait autour de la belle Lola. Ses anniversaires étaient très fêtés. C'était pour elle l'occasion d'une petite larme à se voir plus vieille en son miroir, mais bien vite la joie revenait de se savoir aimé par la multitude des admirateurs au regard magnétisé.
Mais revenons à la femme qui guide la série télévisée : Emilie-Victoire.
Il y a des femmes-oiseaux, des femmes ailées qui déploient leurs ailes et s'envolent en spirale, faisant tourner la tête des hommes, et parmi celles-ci un sous-ensemble rare, dont les membres ont le courage de s'arracher une plume et de la tremper dans la plus noire des encres pour tracer sur du papier le cours sinueux d'un récit.
Emilie-Victoire était de cette confrérie secrète. La magie du petit écran opéra de façon raccordée à la perfection, mais pourtant une incroyable transformation s'était produite. La lettre tant amplifiée par la force rémanente d'un amour perdu était devenue livre, question de taille, de volume. Emilie-Victoire au lieu de se consacrer au lavage, d'y laisser sa santé, en attrapant de l'asthme aigu après une pneumonie hivernale développée dans l'humidité glaçante du lavoir municipal, Emilie-Victoire avait ciselé l'amour, son amour, dans chacune des pages de l'opus, qui pouvait maintenant se refermer.
Valentina s'en voulut d'avoir accordé son attention à cette histoire larmoyante si pleine de clichés. Clic. Pourtant, elle n'arrivait pas à s'en détchaer et la suivit jusqu'à la fin. Cette nuit-là, Valentina fit un rêve. Elle était debout, dans la position du gondolier. Elle poussait sur sa perche pour faire avancer une barge. Cela lui venait sans effort. Etrange se dit-elle, est-ce que je rêve ? Les forces en jeu sont tellement atténuées, les lois de la physiques viennent-elles brusquement de changer?
Elle vit au loin une île dans la lumière dorée du couchant. Elle pensa être entrée dans le monde de Claude Gellée dit Le Lorrain.
Mais que pouvait bien être cette île ? Elle eut une intuition : ça pouvait être Cythère. Un homme de dos regardait l'horizon. Il était très loin, mais grâce à la lumière qui l'éclairait en incidence rasante, on le voyait très bien. Sur quel cône d'espace projectif aux champs puissants était-elle maintenant ? L'homme multi-échelle zoomable d'un regard, avait levé progressivement sa jolie tête. Le soleil se cachait, la lune apparaissait. C'était une pleine lune rousse, comme les aiment Odin, présage de grands changements.

Le lendemain, Valentina mit du temps à se réveiller, puis à se rendre compte qu'elle avait rêvé. Elle s'employa un long moment à recoller les séquences de rêve, qui se remirent en place au son de la machine à café. Elle n'eut pas besoin de chercher l'interprétation du rêve, qui vint de soi : la vie de Valentina passait par Boris. Elle n'en savait pas le but ultime, mais elle sentait une attraction gravitationnelle intense. Inutile de lutter, de refouler cette attraction. Elle appela le bureau de Boris où il n'était pas. Ca ne l'embarrassait même pas d'y faire une intrusion téléphonique, mobilisant des secrétaires peu coopératives, hostiles même. Les femmes sentent tout de suite qui est leur rivale. Pourtant le message, retardé à dessein, arriva quand même à Boris. Il rappela le soir-même.

Ce que fut cette conversation, quelles ondes telluriques l'agitèrent, quelles vibrations harmoniques s'y auto-orchestrèrent, rien de cela ne sera décrit ici. Dommage! ;)

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