10 décembre 2006

Adios Las Vegas (7)

Circé est rentrée en Pennsylvanie. Elle suit l'actualité internationale avec un intérêt nouveau. Elle a acheté des cartes géographiques du "théâtre d'opérations extérieures". Elle a lu des livres décrivant ce pays lointain, son histoire, sa culture. Donner un nom à son mal, c'est déjà commencer à le dompter. La dignité de l'homme: réduire sa propre souffrance en la formulant, reprendre les commandes, grâce au langage. Aussi, connaître un risque, c'est un peu le prévenir, en diminuer la prbabilité et l'amplitude. Plusieurs fois par semaine, Circé reçoit des e-mails de quelques lignes qui ne disent pas grand chose, sauf pour une des phrases, que Mike réussit à rendre signifiante uniquement pour eux-deux, et qui résiste à toute interprétation par la censure militaire. Circé garde tout de cette précieuse correspondance. La vie y coule comme une élégante cascade de notes de piano composée par Rachmaminov. Circé a aussi abouté les phrases personnelles, débarrassées de leur emballage, en un chapelet unique. Le résultat, esotérique, est vraiment poétique. Une nouvelle langue à deux locuteurs est née. Elle grandit, s'affermit, se donne des codes, une grammaire, une sémantique. Heureusement que dans leurs contextes hypercontraints ils disposent de cet espace commun de liberté, un pont-aérien-de-Berlin sur lequel ils peuvent marcher en altitude, pavé de mots solides et forts, de mots porteurs. Le lien vit, le lien prospère. Circé avait pendant quelques semaines redouté de se déssécher à attendre Mike. Régresser, vieillir prématurément, se sentir en nausée, comme dans une file d'attente administrative absurde et obligatoire. Heureusement, il n'en est rien. La plante est arrosée et illuminée d'une belle lumière naturelle. Elle grandit. Non elle ne se déssèche pas.

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