23 décembre 2006

La femme ailée (1)

Asphélia se sentait une réplique vivante de la Victoire de Samothrace. Sa tête s'était envolée, libérée de son corps, et flottait déjà au-dessus des nuages. Tête ou âme, esprit moqueur, feu follet stratosphérique? Elle ne savait plus exactement. Elle ne sentait, actuellement, que cette partie du corps qu'on appelle fuselage pour un avion.
Elle se savait bien fuselée, avec une poitrine assez saillante, en version figure de proue, mais pas trop lourde, juste comme son amie et modèle La Victoire. Ses ailes, loin d'être un accessoire détachable comme chez les anges de pacotille, donnait envergure et élégance à ses gestes.
Asphélia, assise dans l'avion, avait bouclé sa ceinture et commencé à se détendre. Elle se préparait à accompagner de tout son corps l'envole de l'avion. Faire corps avec l'avion, voler soi-même, une recette idéale pour qui a connu l'angoisse de l'envol.
L'avion venait de prendre de l'élan, puis de s'envoler au-dessus des rizières. Les bras d'Asphélia s'étaient symboliquement étendus, s'orientant comme les ailes. Asphélia s'identifiait au grand être volant, faisait corps avec lui. Sans plus de doute, elle effectuait un élégant glissement ascendant, jusqu'à franchir le plan des nuages. Quand le mouvement fut stabilisé, Asphélia rétracta doucment ses ailes, et reprit sa forme de femme réelle. Assise dans l'avion, elle se souvenait des jour écoulés. Elle se laissa aller au fil élastique de sa pensée, le long de ce caoutchouc mental à gros diamètre. Elle joua à étirer son fil, avec une accélération importante. Une corde de pensée. Presque la corde vibrante source de musique.
Asphélia se dit:
-Galaad, c'est à toi et toi seul que je pense.
Je voudrais tellement me trouver dans tes bras, entendre ta voix, te sentir en moi. En ce moment ce besoin de proximité, d'entrelacement, est encore plus fort que celui de faire l'amour et d'y prendre du plaisir. Corps à corps, connectés, un être-ensemble résonnant. Prenons le temps de cette fusion statique avant que ne vienne l'oscillation de plaisir en vague montante, flux et reflux, dedans, dehors, dedans , dehors... Déferlement.
-Viens Galaad. Prend la mesure de cet espace que je t'offre. Prend-le et surtout garde-le. Laisse tes yeux dans les miens. Oublie-les. Ils y seront bien. J'attends ce moment annoncé. Il veindra, je le sais. J'attends sans hâte. Je n'ai pas peur du temps qui devra passer. Les heures sont juste les jolies arches d'un pont temporel qui nous relie.
Asphélia était amoureuse. Comme souvent quand on aime vraiment, on a l'impression de n'avoir jamais rien senti d'aussi fort, d'aussi puissant, grand, fort. Asphélia est toute entière à sa passion: une femme amoureuse qui n'est plus rien d'autre que le jouet de sa passion. On est sur un nuage quand on aime comme cela. On ne s'intéresse plus qu'à nourrir sa passion. Les gens amoureux sont assez monolitiques. Ils perdent vite leur faculté de nous intéresser, de nous étonner. Ils ne présentent d'attrait que pour l'autre, la personne choisie, élue.
C'est pourquoi nous préférons arrêter là cette ligne temporelle, et revenir en arrière. Comment Asphélia en était-elle arrivée au point où nous la trouvons?

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