27 décembre 2006

La femme ailée (5)

Plus tard, bien plus tard mais trop tôt, il y avait eu les cris, les déchirements.

La passion de Stefano pour les plantes, sans limite, était devenue intolérablement oppressante pour Asphélia. Elle se voyait entravée par les vertes ramifications, toujours en croissance, toujours en conquête, empiétant sur l'espace personnel d'Asphélia. Asphélia, femme ailée, voulait se mouvoir librement. Stefano remplissait son espace statique. Il le réduisait comme dans une guerre de position. C'était une colonisation aussi hérissante et désagréable que celle des acariens dans un lit. Stefano, quant à lui, n'en pouvait plus de subir la critique silencieuse et implicite d'Asphélia.

Les crises se multipliaient.

Invariablement la sortie de crise se faisait selon un schéma de dissolution malsaine et frénétique, un semblant de réconciliaition qui ne dupait personne. En fait la guerre continuait sur un autre terrain. Pour généraliser Clausewitz, la continuation de la guerre par d'autres moyens, sur le terrain de l'amour expiatoire, où les corps luttent, se donnent un plaisir vengeur, un plaisir pardon, un plaisir regret. Ca se termine la bouche pleine de sel.

Une tragédie de croire s'aimer encore, tout en perdant prise, et en voyant s'effilocher les dernières trames du tissu qui vous liait.

La peur de la passion impasse, celle qui vous dévore sans plus vous nourrir.

Un rêve horrible d'Asphélia précipita la fin de cette histoire. Ce rêve montrait les plantes déchaînées dans une croissance digne d'un jeu vidéo, rapide au-delà de l'entendement. Stefano était devenu la racine centrale des plantes ennemies. Les arborescences dynamiques accueillaient les suicidés du XIIIème cercle de l'Enfer de Dante. Ces âmes irrémédiablement damnées se morfondaient dans d'infinies souffrances reflétées par les convulsions tordues de la forêt dense. Enfer, oppression, atmosphère humide irrespirable, Stefano hydre verte, et les suicidés.

En sortir. Tout de suite.

Asphélia se réveilla en sueur.

Stefano continuait à dormir. Elle avait fait son sac au minimum, et s'en était allée tant qu'elle le pouvait encore.

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